Article paru sur www.orient-extreme.net
Disponible en DVD zone 2 aux éditions Fox Pathé Europa
Totale liberté de forme et de ton pour ce film thaïlandais déjanté qui suit les mésaventures d'un jeune villageois naïf dans la ville de Bangkok. Wisit Sasanatieng aime les couleurs pastels, les chansons acidulées et le second degré qui fait mal.
Lorsque Pott quitte son village natal pour rejoindre la grande ville de Bangkok, sa grand-mère se moque de lui. "A peine arrivé là-bas, lui dit-elle, tu te réveilleras avec une queue au derrière!" Voilà un avertissement qui calme, c'est sûr. Mais Pott ne se laisse pas démonter. Il commence une carrière passionnante dans l'usine de conserves du coin, où il met des sardines en boîte à longueur de journée. Bien sûr, parfois, il y a des accidents, comme la perte d'un membre, mais dans l'univers rose bonbon de Citizen dog, rien n'est jamais tragique. Si l'on se coupe un doigt, il suffit de le retrouver pour le recoller. Et si l'on en trouve un autre à la place, cela fait presque aussi bien l'affaire, puisque c'est l'occasion de se faire de nouveaux amis. Soit une galerie de portraits hilarants et insolites qui parsème le film de zombies conducteurs de moto, d'hommes affublés de la terrible manie de lècher tout ce qui tombe à leur portée et d’ours en peluche accros au whisky.
Impossible de lister la totalité des idées reçues (c'est-à-dire des éléments de la vie courante dits "réels") contre lesquelles lutte Wisit Sasanatieng. La vie, la mort, l'amour, les rêves et les vampires sont finalement choses fort relatives. Le mieux est donc d'abandonner derrière soi toutes certitudes (et pourquoi un chauffeur de taxi défunt n'aurait-il pas la nostalgie de son ancienne profession?) et de se laisser porter par le ton volontairement lénifiant et doucereux de son film. De toute façon, il n'y a que deux choses à garder à l'esprit : Citizen dog est passablement innénarable et complétement déjanté.
Satire de la société de consommation
A première vue, le réalisateur confirme le bruit qui court depuis quelques années : c'est vers la Thaïlande, désormais, qu'il faut se tourner pour avoir de vrais chocs cinématographiques. Bon, en ce qui concerne Apichatpong Weerasethakul (Tropical malady, Blissfully Yours), ça se discute résolument. Mais pour Citizen dog, aucun doute, voilà une bouffée d'air frais comme le cinéma mondial, même asiatique, ne nous en offre plus très souvent. Wisit Sasanatieng ose tout, et surtout ce qui "ne se fait pas", évidemment. Comme faire chanter à ses acteurs une chanson pop thaï mielleuse en regardant la caméra bien en face ou coller une voix-off explicative sur les images pendant la moitié du film en lieu et place des dialogues.
Il impose également son style visuel, déjà fortement remarqué dans son premier film, le très beau Les larmes du tigre noir. Un mélange de kitsch et de raffinement assumés où se croisent des chemises vert pomme, des pantalons framboise et des robes bleus pastel. Acidulé, coloré, presque bariolé, Citizen dog ressemble parfois à un univers de bisounours sous acide. Et hop, un coucher de soleil flamboyant par ci, des giboulées de casques de moto fushia par là…
Heureusement, tout cela n'est pas (entièrement) gratuit. Sous ses dehors de comédie romantique dégoulinante et naïve, Citizen dog s'avère une satire efficace des pires aspects de la société de consommation. Derrière le premier degré des saynètes humoristiques, et parfois complétement idiotes, se cachent des attaques en règle contre le productivisme (symbolisé par un travail à la chaîne abrutissant, qui mutile les corps et emplit les rayons de supermarché de milliers d'objets identiques), la répression politique (au travers du personnage énigmatique de l'activiste Peter) ou encore la standardisation de la société.
Matérialisme versus spiritualité
Ainsi, tout au long du film, et selon le métier qu'il exerce, Pott est vêtu d'un uniforme indiquant sa fonction (factory, taxi, security…). Jin, la belle dont il est épris, est quant à elle éternellement vêtue d'une robe bleue à rayures sur laquelle il est brodé "maid" ("bonne"). Jolie manière de dénoncer la propension actuelle à coller des étiquettes aux gens… mais aussi l'uniformisation ambiante. Bienvenue dans un monde où chacun s'habille de la même manière, mange les mêmes aliments et aime les mêmes choses…
On est loin, tout à coup, de la naïveté apparente de l'intrigue. Féroce, Wisit Sasanatieng traite dans un même mouvement de la pollution galopante qui menace la planète (le combat de Jin contre les bouteilles en plastique) et de l'embrigadement qui peut facilement toucher les gens sincères qui croient en une cause (la même Jin, comme ayant subi un lavage de cerveau, devenue obsédée par les plantes). Plus généralement, tout matérialisme est fustigé au profit d'une certaine spiritualité, symbolisée par la grand-mère de Pott, réincarnée en gecko (une sorte de lézard).
Pour autant, le message final ne s'avère pas spécialement optimiste. Après bien des rebondissements, Pott finit certes par trouver le bonheur, mais c'est en devenant comme tout le monde. Rentrer dans le rang, seule façon de trouver le salut ? Constat réaliste, mais certainement pas une incitation. Le film de Wisit Sasanatieng témoigne d'une trop grande liberté de ton et d'une originalité trop instinctive pour qu'on puisse l'accuser de chercher à se couler tranquillement dans la masse. Au diable la rédemption…
(critique deauvilloise)
Marie-pauline Mollaret
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