dimanche 10 juin 2007

A l'affiche


TANWARIN SUKKHAPISIT, réalisateur & acteur thaïlandais - INTERVIEW

Source: www.orient-extreme.net

La rencontre avec Tanwarin Sukkhapisit, réalisateur du court-métrage In the name of sin, se fait au carré presse du Festival du film court de Clermont-Ferrand. Passé le premier moment d'hésitation dû au travestissement en femme (plutôt jolie de surcroît) dudit apprenti-cinéaste que votre serviteur avait vu en homme dans le dit court-métrage, chacun se pose autour de la table, les formalités se succèdent, et l'enregistrement démarre.

Orient-Extrême : Un autre film thaïlandais est en compétition à Clermont-Ferrand. L’avez-vous vu ? Vous savez… cette espèce de parodie de films de super-héros japonais…


Tanwarin Sukkhapisit : Oh ! KOD. C’est mon film, celui-là aussi. Enfin, je l’ai produit.

Orient-Extrême : Vraiment ? Celui dont le héros est un pauvre ouvrier qui trime sans le savoir dans l’usine d’un gros méchant et qui se fait régler son compte à coups de batte par les Super Rangers ?


Tanwarin Sukkhapisit : Oui, oui. C’est mon "travail" (rires).

Orient-Extrême : Eh bien vous transmettrez nos félicitations au réalisateur, c’était très amusant. Mais l’objet de notre interview est un court-métrage déjà bien moins fun… In the name of sin. Tanwarin Sukkhapisit, vous avez coréalisé le film et y tenez son rôle principal. Est-ce votre première fois à Clermont-Ferrand ?


Tanwarin Sukkhapisit : (en français) Premier ? Non… (revient à l’anglais) c’est la deuxième fois.

Orient-Extrême : La première fois, c’était quand ?


Tanwarin Sukkhapisit : C’était en 2003. J’y présentais un film intitulé Deep inside. (en français) "Tout au fond".

Orient-Extrême : … "Tout au fond" ?


Tanwarin Sukkhapisit : Oui oui.

Orient-Extrême : C’est ce qu’on appelle un titre à forte portée évocatrice. C’était un plus long, j’imagine ?


Tanwarin Sukkhapisit : Du tout, c’était plus court. Sur le même sujet : une histoire de professeurs et d’élèves, d’hommes, de gays, aussi de femmes…

Orient-Extrême : Bon, ça semble bien être le grand thème obsédant de votre cinéma. Avez-vous été influencé par des films gays thaïlandais, s’il y en a des populaires ?


Tanwarin Sukkhapisit : Influencé ? Non non non, du tout. Je n’ai pas besoin d’influences, je ne fais que raconter des choses que j’ai vécues ou vues.

Orient-Extrême : N’y a-t-il pas un cinéma gay en Thaïlande ? J’ai entendu dire que vous étiez plutôt relax, sur ce plan.


Tanwarin Sukkhapisit : Il y a un cinéma gay. Mais il est constitué, en grande majorité, de comédies. Des "queer comedies", rien de sérieux. C’est du cinéma pour public hétérosexuel qui souhaite en rire, on n’y trouve aucun écho de la réalité. Mon cinéma n’est pas fait pour faire rire, mais uniquement pour traduire une réalité, faite de sentiments élémentaires, humains. Je prends ce sujet au sérieux.

Orient-Extrême : Les étrangers qui connaissent la Thaïlande, ou devrais-je plutôt dire Bangkok, en parle toujours comme d’un immense village où tout le monde est chaleureux et accueillant, où ne règne aucun stress, ni mal-être. Bon, c’était la partie carte postale, mais peut-être est-ce pour cela qu’il y a plus de comédies thaïlandaises que de tragédies lourdes dans le cinéma…


Tanwarin Sukkhapisit : Il y a du vrai. Notre cinéma, c’est très souvent de la comédie potache et énergique, des films d’action divertissants, comme Ong Bak, etc. Les Thaïlandais ne semblent pas trop apprécier tout ce qui va être trop lourd.

Orient-Extrême : Il y a un grand film dramatique thaïlandais que nous avons eu la chance de voir au dernier Festival du film asiatique de Deauville, intitulé Midnight my love


Tanwarin Sukkhapisit : Ah, oui, celui-là. J’adore ce film. Vous savez, l’acteur qui joue le "taxi driver", Petchtai Wongkamlao, c’est une de nos plus grandes stars. Si votre script lui plait et qu’il accepte de tourner dedans, vous êtes sûr d’être produit.

Orient-Extrême : Vous y avez pensé ?


Tanwarin Sukkhapisit : Non non non… j’aime beaucoup l’acteur… peut-être trop pour ça.

Orient-Extrême : Revenons au film. Comment l’idée de faire In the name of sin vous est-elle venue ?


Tanwarin Sukkhapisit : Oh, est bien tout simplement de mon passé. Ma vraie vie. J’étais professeur d’anglais, avant, un prof comme mon personnage dans le film. Puis j’ai arrêté (rires)… et je suis devenu réalisateur. Mais je n’ai rien oublié de ça. Ce que l’on voit dans le film, c’est ma vie. Ce qui m’a inspiré, ce ne sont pas des films, mais… cette nécessité affreuse de cacher, refouler ses sentiments en société.

Orient-Extrême : Vous ne semblez pas être un cinéphile de la première heure.


Tanwarin Sukkhapisit : En effet, non. J’utilise le cinéma comme un moyen d’exprimer quelque chose, de faire passer un message, le medium en lui-même n’est pas le plus important.

Orient-Extrême : Le film que vous avez produit, KOD, est, lui, un film très cinéphilique. Les références aux comics, et surtout aux sentai (séries de super-héros des années 70-80, telles Bioman), sont totalement revendiquées.


Tanwarin Sukkhapisit : Tout à fait ; mais ce n’est pas tout. La principale raison pour laquelle j’ai produit ce film, c’est son message. Il m’a plu dès la lecture du scénario : KOD parle avant tout des petites gens, qui triment dur pour arriver à joindre les deux bouts, et sont parfois impliquées dans des événements qui les dépassent. Vous savez, ce film a reçu le grand prix à un festival de court-métrage thaïlandais (il prend un air fier).

Orient-Extrême (Je prends un air admiratif) : Pas mal. Mais à ce propos, In the name of sin… a-t-il été projeté en Thaïlande ? Et comment a-t-il été reçu ?


Tanwarin Sukkhapisit : Oui, il a été projeté lors de festivals. Quant à son accueil… ça a été globalement positif. Beaucoup de gens ont compris la démarche, le sentiment du film. Il faut savoir que, à mon avis, le genre d’histoires que narre notre film est assez commun, en Thaïlande. Certains réalisateurs thaïlandais osent en parler ouvertement, pour changer du reste. Mais étant donné le fort degré de réalisme du film, cela a gêné certains autres. On sait que ça se passe comme ça, dehors ; mais voir ça dans un film, c’est différent. Je pense qu’en dehors des festivals, In the name of sin ne serait pas reçu sans problèmes.

Orient-Extrême : Pourtant on a vraiment l’impression, en voyant le film, que l’action pourrait se dérouler dans n’importe quel pays du monde. Enfin, démocraties. Industrialisées. Au Japon par exemple : on y sent la même pression de la société. Parce que bon… la Thaïlande, ça a beau être relax, il y en a quand même une, de pression, non ?


Tanwarin Sukkhapisit : Malheureusement, oui.

Orient-Extrême : Vous dites que les comédies gays sont très courantes en Thaïlande. Et, on est d’accord, le vôtre est plutôt l’inverse d'une comédie. Or, son principal problème est sa dichotomie entre son image très réaliste, et… sa bande originale, très, trop, romantique rose-bonbon. Ce n’est pas un mix auquel le public est habitué, et, plus simplement, pas un mix très heureux… comment le défendez-vous ?


Tanwarin Sukkhapisit : En expliquant ce choix par le point de vue du film, qui est celui du professeur. Ce professeur, que j’interprète, est le genre de personne qui se doit de faire certaines choses ; comme un devoir. Il pense beaucoup aux autres. C’est un personnage très noble, et romantique… dans son esprit. Parce que dans la réalité, tout cela n’a pas grand-chose de romantique. Il ne fait que rêver… rêver éveillé aussi.

Orient-Extrême : Donc vous vouliez vraiment produire un effet, avec ce contraste un peu choquant.


Tanwarin Sukkhapisit : Oui. Si ça rend certains spectateurs perplexes, c’est normal.

Vous alternez constamment, durant la demi-heure de métrage, romantisme un peu ringard et réalisme plutôt cru – on pense surtout à cette scène de prostitution dans la voiture. Au fond, qu’avez-vous voulu dire, avec ce film ?


Tanwarin Sukkhapisit : A propos de la crudité de cette scène, je n’ai pas l’impression d’en avoir trop fait. J’aurais pu montrer plus, j’aurais aussi pu montrer moins… mais j’ai l’impression d’avoir tapé juste au milieu. De sorte qu’on se concentre sur le fond du problème : le péché. Le "sin" du titre. Je voulais le "montrer". En général, le mot péché inspire quelque chose de mauvais, voire de très mauvais. Mais de mon point de vue, c’est très relatif. Le mot "péché" peut cacher de nombreuses choses positives, selon les motivations des gens. Et avec ce film, j’ai voulu montrer à quel point toutes ces choses positives sont fragiles, et peuvent être anéanties par les préjugés et les racontars, par le mot "péché" même. L’étudiant se prostitue, c’est une chose condamnable ; mais pourquoi le fait-il ? A la fin, on se rend compte de ses nobles motivations.

Orient-Extrême : A ce propos… le sens réel du titre est assez confus. On sait ce qu’est le "sin" en question ; mais pourquoi "in the name of" ? N’y a-t-il qu’un seul "sin" ?


Tanwarin Sukkhapisit : Tout ce que les protagonistes font, tout le long du film, est au nom du péché. Donc, non, il n’y a pas qu’un seul péché. Le péché central est l’acte que commet le lycéen, mais il n’est pas seul… par là, je n’ai pas voulu dire que le péché est partout ; mais plutôt qu’on le voit partout.

Orient-Extrême : Un petit message de tolérance n’est jamais mal venu. Vous avez du mal avec la censure et les tabous, dans votre pays ?


Tanwarin Sukkhapisit : Oui, encore beaucoup de mal. En Thaïlande, si tu es professeur, et gay, ce n’est pas bon. Parce que tu ne montres pas le bon exemple à tes élèves. Le monde de l’enseignement n’est pas le plus ouvert, a fortiori en Asie. Il y a ces uniformes, toutes ces règles...

Orient-Extrême : A propos de monde… celui du court-métrage en Thaïlande. Ca a été dur d’y entrer ?


Tanwarin Sukkhapisit : Je connais ce monde… mais il faut savoir qu’il n’est pas très populaire. Tout le monde peut faire un court-métrage, de nos jours ; c’est comme un hobby. Il n’y a aucun but commercial derrière. Ca ne sert même pas vraiment à se faire remarquer : les festivals en Thaïlande sont rares, et pour participer aux festivals étrangers, ce n’est jamais tout à fait facile. Pour faire In the name of sin, et pour être ici, aujourd’hui, je n’ai compté que sur mon propre argent.

Orient-Extrême : … je croyais que les réalisateurs étaient invités… ?


Tanwarin Sukkhapisit : Ah ! Nous sommes invités, en effet. Mais le billet d’avion, c’est moi qui me le suis payé ! Et je ne suis pas une personne riche…

Orient-Extrême : Si vous étiez en France, tout serait plus facile.


Tanwarin Sukkhapisit : Je sais ! Quand j’ai entendu combien les jeunes réalisateurs sont aidés en France, j’ai mesuré le chemin que nous avions à parcourir en Thaïlande. D’ailleurs, l’ambassade de France à Bangkok a été un de nos plus solides appuis… elle nous a fourni des visas, gratuitement, nous a beaucoup aidé pour toutes les formalités… après ça, j’ai encore plus aimé la France que je ne l’aimais déjà. Après, il y a tout de même des moyens de se faire connaître par ce que l’on fait. Actuellement, je suis entrain d’éditer des DVD de mes précédents films, que je vais vendre à un gros marché du film indépendant qui se tiendra à Bangkok.

Orient-Extrême : Des DVD… réunissant plusieurs de vos films ?


Tanwarin Sukkhapisit : Non, contenant un seul film par DVD. Comme ceux-ci (il sort de son sac une ribambelle de galettes). J’ai fait pas mal de films… et je pense pouvoir en tirer un peu d’argent.

Orient-Extrême : C’est tout ce qu’on vous souhaite. Mais après ça ? Quels sont vos futurs projets ?


Tanwarin Sukkhapisit : Mes futurs projets… d’abord, un long-métrage.

Orient-Extrême : Un long, carrément.


Tanwarin Sukkhapisit : Oui. Avec mon argent.

Orient-Extrême : Oui, bien sûr, tant qu’à faire. (Il me tend les DVD en signe d’offrande) Euh… merci ! Mais au fait, vous le tournerez en quel format, si ce n’est pas indiscret, ce long métrage ? DV ? Pellicule ? Dans l’optique où vous auriez le choix.


Tanwarin Sukkhapisit : Pour moi, ce qui sied le mieux à mon cinéma, c’est le digital. C’est ce qui de mon point de vue capture le mieux la réalité.

Orient-Extrême : Et… comment allez-vous vous y prendre ?


Tanwarin Sukkhapisit : Je vais tout faire pour y parvenir. J’ai par exemple le soutien de la productrice de Midnight my love, vous savez, le film dont on a parlé tout à l’heure. Avec mon scénario, elle a essayé de réunir assez de fonds, mais n’est pour l’instant pas arrivée, à cause du sujet… les grosses maisons de production ne dépensent pas d’argent pour des sujets pareils ; si ce n’est pas une comédie ou un film d’action, ça ne les intéresse pas. Mais je ne désespère pas. Je vais peut-être chercher des fonds étrangers.

Orient-Extrême : Le soutien d’une personnalité, d’un acteur ou d’une actrice connus ?


Tanwarin Sukkhapisit : Par exemple. Tant que la personnalité en question fonctionne à peu près comme moi, peut mettre de côté les gros sous… à ce propos, vous savez, certains jeunes acteurs de mes films sont des habitués des publicités thaïlandaises ; comme l’interprète du lycéen dans In the name of sin. Il n’est pas encore très connu, mais il ne fait que commencer. J’ai eu moi-même l’occasion de participer à des tournages de pub, et je suis également "acting coach"… j’aime les acteurs.

Orient-Extrême : En trouver un qui épouse votre cause et peut la faire entendre serait l’idéal. En tout cas, on espère que vous atteindrez vos objectifs, que les mentalités changeront, et que l’on vous retrouvera l’année prochaine pour un festival, si ce n’est pas à Clermont… à Deauville, peut-être!


Tanwarin Sukkhapisit : Merci. Ce n’est malheureusement jamais tout à fait dépendant de la volonté des réalisateurs, mais je ferai tout pour.

Orient-Extrême : On vous souhaite bien du courage.

Entretien reccueilli par Alexandre Martinazzo.


Remerciements : Roger Gonin.


In the name of SIN

Nikorn Sripongwarakul, Tanwarin Sukkhapisit

Thaïlande / 2006 / Fiction / 32'00 / Beta SP


Synopsis:

Un professeur cache ses sentiments par crainte de perdre son travail, jusqu'au jour où un jeune homme entre dans sa vie et l'aide à ouvrir son cœur.


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