vendredi 24 août 2007

Les tatouages pare-balles du temple de Bang Phra

Photo: Cedric Arnold

Des dizaines de gangsters et de criminels sont rassemblés depuis l'aube en face du temple de Bang Phra. Ce groupe de pèlerins unique en son genre comprend des violeurs et des truands, quelques tueurs à gages, pas mal d'anciens détenus et beaucoup de voleurs à la tire des banlieues de Bangkok. Ils ne viennent chercher ni l'absolution ni une retraite céleste loin du monde de la pègre, mais des tatouages qui les rendront invincibles. "Avec la magie de Bang Phra, les balles ne me blessent pas et les couteaux se tordent sur ma peau", explique le jeune Piatnee, qui exerce la profession de "ça ne vous regarde pas". Dans ce temple situé à une heure de Bangkok, les croyants affluent de toute la Thaïlande, attirés par des légendes incroyables sur le pouvoir des tatouages - un guerrier a vaincu une armée entière à lui seul, un paysan a marché sur une mine et s'en est tiré indemne, un délinquant a réussi à arrêter une balle avec les dents... Sur les marches qui mènent au temple, des hommes jeunes, torse nu, attendent leur tour. Au bout de la file se tient le moine Pao, drapé dans sa tunique safran. "Nous ne demandons pas à ces hommes ce qu'ils font de ces pouvoirs. Mais, pour que les tatouages soient bénéfiques, il faut respecter les principes bouddhistes : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas commettre l'adultère, ne pas mentir et ne pas boire d'alcool", précise le moine en haussant la voix à l'attention de tous. A côté de Pao se trouvent ses instruments de travail : une aiguille de 60 cm de long et un récipient rempli d'encre mêlée à des herbes chinoises et à du venin de serpent. Deux hommes sont là pour aider à immobiliser les aspirants à l'invincibilité qui se tordent de douleur pendant que Pao grave sur leur peau, lentement, des fragments d'anciens textes en khmer et des dessins de bêtes féroces. Avant d'être stérilisée à l'alcool, la même aiguille sert à tatouer des dizaines de personnes. "Si tu as le sida, ne te fais pas tatouer", proclame un écriteau placé à l'entrée.
Le secret des tatouages magiques a été découvert par le moine bouddhiste Luang Phor Pern alors qu'il cherchait un moyen de protéger les soldats thaïlandais . Luang est décédé l'année dernière, mais avant de partir pour un monde meilleur il a enseigné son art à cinq autres moines, ses héritiers. Une séance de tatouage peut durer près de deux heures et se termine par un rituel de transe où le tatoué se roule parfois par terre en poussant des hurlements avant de perdre connaissance. "C'est pour faire peur aux démons", déclare Pao, qui prie à voix haute pour compléter la cérémonie. Au cours des vingt dernières années, plus de 5 000 personnes ont été tatouées à Bang Phra. Beaucoup reviennent se faire faire de nouveaux dessins, convaincus d'acquérir ainsi de nouveaux pouvoirs ou de renforcer ceux qu'ils possèdent déjà. Pradaaji, un ancien détenu qui a recouvert 70 % de son corps en douze années de séances, assure que, cette fois-ci, c'est la dernière. "Pendant ces douze ans, j'ai eu des accidents de moto, je me suis battu, je suis tombé par la fenêtre de ma maison et je n'ai rien eu", raconte-t-il en montrant les tigres qui ornent sa poitrine. Lui aussi exerce la profession de "ça ne vous regarde pas". En général, à peine sortis du temple, les tatoués cherchent la bagarre pour mettre à l'épreuve leur nouvelle arme secrète. Si la légende ne cesse de grandir, c'est que ceux qui n'ont pas été protégés par les tatouages vivent rarement pour le raconter.

Article de David Jiménez paru dans Courrier International, rubrique Insolites.



Séance de tatouage traditionnel, sak yan, au Wat Bang Phra

Liens intéressants:
Tattoo festival au Wat Bang Phra
Skin deep
Magnifiques photos de Cedric Arnold


Et pour les romantiques, il y aussi ce genre de tatouage... mais pas au Wat Bang Phra, na na na...

photo www.worth1000.com

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