Le feu venait de passer au rouge. Ça tombait bien, trois véhicules pouvaient encore passer selon le code de la route en vigueur à Bangkok et nous n’étions devancés que par un pick-up Toyota. Sur la plateforme arrière de celui-ci, était entassé un groupe de jeunes ouvrières toutes cuirassées d’une épaisse chemise à manches longues et d’un passe-montagne pour se protéger du soleil. Pauvres petites ! me dis-je en voyant ces championnes de la pelle, de la truelle et du marteau piqueur. Les malheureuses n’étaient pas nées avec un joli visage ou un beau petit cul. Il leur était donc impossible de postuler comme sexy girl ou beautiful lady dans l’un des nombreux bars à hôtesses de Patpong ; les farangs ne font pas tous ces kilomètres en avion pour coucher avec des laiderons. En Thaïlande, disent les guides touristiques, les filles sont jolies. Il en va donc de la crédibilité du pays d’offrir de superbes nanas aux touristes de passage. C’est pourquoi, mon enfant, si ton visage est disgracieux, il vaut mieux pour toi disparaître derrière les balustrades d’un chantier. Tu pourras alors choisir entre participer à la construction d’une tour de verre de cinquante étages, d’un hôtel cinq étoiles avec piscine en forme de haricot ou du très attendu métro aérien – ce ne sont pas les chantiers qui manquent à Bangkok ! Mais pour cela, ma fille, il te faudra impérativement être de bonne constitution, avoir les reins solides et aussi des cuisses bien musclées. Autrement, chérie, tu serviras des soupes de nouilles dans une gargote de rue, des mouches à merde plein la vue. Remarque , il arrive parfois qu’un vieil étranger en mal d’exotisme s’aventure jusque-là. Alors, si c’est le cas, n’hésite pas à sourire à la providence. Cet homme pourrait faire de toi une princesse. Tu n’auras qu’à écarter les jambes et lui dire qu’il a une grosse bite. Ensuite, il t’emmènera en Amérique – et peu importe s’il a 90 ans !
Chattaya
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