samedi 29 septembre 2007

Chattaya raconte


Me voici sur le ring. J’ai 19 ans, pèse 52 kilos. Talisman porte-bonheur autour de la tête, je m’incline dans mon coin, face contre le sol, pour faire le salut à mes professeurs de boxe. L’orchestre traditionnel accompagne le rituel à grands coups de cymbales entrecoupés de morceaux de flûte aigrelette. Je n’attends plus qu’une chose : me coucher comme prévu à la troisième reprise et me laisser bercer par le décompte du juge arbitre. La victoire surprise de mon adversaire va rapporter gros. Désormais Hong Kong est à portée de knock-out.
Tchan, mon amour. Bientôt six mois que je n’ai plus de nouvelles de toi. Six mois, vois-tu, c’est des heures et des heures à compter les jours qui n’en finissent pas de faire des croix sur les pages d’un cahier d’écolier truffé d’impacts de larmes. Et déjà plus d’un an que j’attends qu’il pleuve dans mon ventre comme avant sous la moustiquaire te voir jouer les pompiers de service. Dans sa dernière lettre, Tchan disait penser à moi chaque seconde. Il espérait me voir débarquer à Hong Kong où il avait pris ses quartiers dans une chambre d’hôtel avec vue sur la mer comme il aimait préciser. Il insistait également sur la largeur exceptionnelle du lit qui équipait la chambre, un king size sur lequel on pouvait aisément coucher cinq personnes. Selon Tchan, les dimensions du matelas était comparable à celles d’un ring de boxe. J’avais hâte d’y recevoir des coups – treize ? Tchan écrivait aussi que son patron chinois l’autorisait à prendre le volant de l’une de ses huit Mercedes : Je te ferai visiter Hong Kong dans la plus belle, un coupé sport des années soixante-dix équipé de portes papillons. Voilà, chérie, nous roulons sur Salisbury road. A ma gauche, la baie de Hong Kong. Et sur la droite, regarde, c’est le Kowloon Shangri-La Hotel, dans lequel nous irons prendre un verre à la nuit tombée. Il me tardait de trinquer à l’amour à la terrasse de ce palace hongkongais en compagnie de mon prince siamois.
Pour l’heure, en transit dans un coin du ring, le regard perdu dans la foule qui clabaude, coté à quatre et demi contre un, short jaune et brassière orange cousus sur le corps, j’esquisse quelques mouvements de danse dédiés à tous les grands maîtres de boxe décédés.

Chattaya


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